Synopsis : Le Caire, été 2013, deux ans après la révolution égyptienne. Au lendemain de la destitution du président islamiste Morsi, un jour de violentes émeutes, des dizaines de manifestants aux convictions politiques et religieuses divergentes sont embarqués dans un fourgon de police. Sauront-ils surmonter leurs différences pour s’en sortir ?
Acteurs : Nelly Karim, Hani Adel, Tarek Abdel Aziz, Ahmed Dash
Eshtebak (Clash) est un film dont on ne sort pas indemne et l’on comprend que nos confrères de la presse lui ont remis à l’unanimité des membres du jury le prix de la critique de l’UCC et de l’UPCB (Union de la Critique de Cinéma et Union de la Presse Cinématographique de Belgique, deux associations belges, bilingues). On ne sort pas indemne de ce film tant il est dense, âpre, lié à une terrible réalité égyptienne qui remonte à moins de quarante mois. Mais le film est également une véritable proposition de cinéma tant les contraintes que le réalisateur et son équipe se sont données réduisent la marche de manoeuvre. C’est que le film répond aux trois exigences théâtrales classiques, à savoir les unités de temps, de lieu et d’action. L’oeuvre proposée pouvait d’ailleurs se "jouer" dans le cadre d’un théâtre puisque l’action se déroule dans un lieu clos, un fourgon de police. Il s’agit donc d’un huis clos qui est cependant ouvert sur le monde ou du moins sur l’extérieur, à savoir les habitants du Caire en révolte et en confrontation.
Mais cette société multiculturelle sans le dire et/ou le savoir trouve son miroir dans ceux et celles qui sont arrêtés, parfois arbitrairement par la police. Se retrouvent ainsi deux membres de la presse qui couvrent les combats, le journaliste Adam (Hani Adel) et le photographe Zein (El Sebaii Mohamed). Au fur et à mesure de la journée, d’autres vont les rejoindre. Ainsi des civils accusés à tort de faire partie des Frères musulmans... Ajoutons un couple faisant partie de la midle class égyptienne, un SDF, un jeune... jusqu’au moment où des Frères musulmans sont enfermés avec eux dans ce lieu clos de deux mètres sur quatre environ. Autant dire que nous avons affaire non seulement à un "bouillon de cultures" mais également à une bombe de cultures, une bombe à fragmentation, une bombe qui saute tout comme lorsque l’on rapproche trop des composants de certaines bombes nucléaires. Choc des cultures, choc des sexes, de la religion, d’une identité arabe ou égyptienne face à l’américain, à la presse. Si certains peuvent trouver des terrains d’entente en fonction de leurs intérêts ou de leurs rejets, les associations et condamnations varient même si de façon quasi générale c’est d’abord l’étranger américain et celui qui travaille avec lui qui sont le point de mire.
Toute la force du film est de nous donner à voir ce microcosme qui est à l’image du pays et de ses habitants : multiple et irréconciliable. Au plan technique, c’est la gageure de tourner cela dans un espace réduit, sans en sortir la caméra. On se souviendra de Cosmopolis qui était tourné dans une immense limousine mais dont on sortait (ainsi que la caméra). Il y a aussi un autre huis clos, celui de Locke. Là il y avait un seul personnage et également Unité de lieu, de temps et d’action. La contrainte était de taille, mais la caméra sortait du véhicule. Ici, dans le cas de Clash, la caméra reste à l’intérieur du véhicule (et faute d’un dossier presse on peut rêver d’un making-of si le film sort en DVD pour découvrir comment le tournage a pu se réaliser). Mais ce qui laisse loin derrière les deux films en question, c’est l’intégration entre ce qui se passe à l’intérieur du fourgon et ce qui se déroule à l’extérieur au fur et à mesure de l’avancement (et des arrêts) du véhicule. C’est que l’on vit et voit un huis clos terriblement oppressant, regard cruel sur un microcosme politique contre nature créé par la force des événements confronté parfois au plus trivial (ainsi comment uriner dans un lieu ainsi clos ? Et si, d’aventure, une bouteille peut aider un homme, qu’en sera-t-il d’une femme dans un lieu si clos qu’il devient difficile d’y respecter les règles de pudeur requise aux niveaux religieux et culturel ?) , parfois au futile : la perte de cheveux ! Parfois au plus vital : manger et boire quand il n’y a rien ou quand la compassion d’un garde est punie sévèrement. Mais le réalisateur arrive à nous montrer l’extérieur du fourgon sans en sortir ! Il filme à travers les fenêtres ce qui se passe dans les rues. Il le fait aussi par les portes du fourgon qui s’ouvrent de temps en temps. Toute l’ingéniosité du film tient à ce que ces "portes ouvertes" s’inscrivent totalement, logiquement et sans artificialité dans la dynamique du scénario. Bien plus, il y a une interaction qui ne paraît pas du tout artificielle entre ce qui se passe à l’extérieur et les protagonistes à l’intérieur. Le spectateur en sera bluffé, car s’il est plus que probable que certaines scènes rapprochées aient été scénarisées pour être incluses en relation entre extérieur et intérieur, d’autres scènes en revanche, semblent provenir de la "vraie réalité" et incluses d’une façon ou d’une autre dans le film !
Le film est sombre, violent, à l’image des situations qu’il évoque et que nous sommes loin de connaître et encore moins de comprendre ici d’où nous sommes. Clash est oppressant, dur, terrifiant et obsédant. Il semble qu’aucune issue ne soit possible. Parfois même ce terrifiant fourgon apparaîtra-t-il comme le seul îlot de sécurité. Peut-on en sortir ? Faut-il en sortir ? Aucune réponse ne sera donnée et le film se clôturera sur ce huis clos sans réponses.