Synopsis : Contacté par un mystérieux employeur pour retranscrire des écoutes téléphoniques, Duval accepte sans se poser de questions sur la finalité de cette organisation. Mais ce travail simple, s’il lui permet de reprendre pied dans sa vie, va néanmoins le placer très vite au coeur d’un complot politique, et le plonger malgré lui dans la brutalité et l’étrangeté du monde souterrain des services secrets.
Acteurs : François Cluzet, Simon Abkarian, Alba Rohrwacher, Denis Podalydès, Sami Bouajila, Tom Adjibi.
Difficile de ne pas songer - comme d’autres qui ont déjà eu le plaisir de voir ce premier long métrage de Thomas Kruithof - à quelques films comme Three Days of the Condor (Les trois jours du Condor, Sydney Pollack, 1975), The Conversation (Conversation secrète, Francis Ford Coppola, 1974) et surtout Das Leben der Anderen (La vie des autres, Florian Henckel von Donnersmarck , 2006).
Toutefois, deux autres films viennent titiller la mémoire d’un cinéphile ! C’est tout d’abord le nom Philippe Chalamont qui est en cause. Il se trouve sur une affiche électorale au début du film et il est question de son nom dans le cadre de la campagne présidentielle. Est-ce un impensé, un clin d’oeil ? En tout cas nous avons pensé de suite au film Le président, avec Jean Gabin et Bernard Blier dans le rôle de... Philippe Chalamont. Certes nous sommes sous la quatrième république et il ne s’agit pas là de magouilles liées à une possible dévaluation du franc ! Même si ici, il sera également question de magouilles, mais on ne peut en dire plus. Il serait dommage de spoiler un film d’espionnage où on ne sait pas qui est qui et qui travaille pour qui. Ensuite, c’est à I... comme Icare (Henri Verneuil, 1979) qu’une des scènes, cruciales, de La mécanique de l’ombre fera songer, lorsque - sans en dire beaucoup plus - Duval se rend compte qu’il est à la fois sujet et objet du travail qu’il exécute.
Le film est très efficace même s’il n’est pas sans l’une ou l’autre faiblesse. La première scène qui nous montre le "héros" dans son job qu’il va perdre confronté à un problème de dossiers. La scène est presque un gag et on ne voit pas trop le lien avec la suite. Est-ce à cause de cela qu’il a perdu son emploi ? Il y a en tout cas une ellipse qui ne permet pas de voir clairement les éventuels liens de causalité. C’est surtout la dernière partie du film qui déçoit un peu. L’aspect feutré et angoissant de la gestion des écoutes téléphoniques, de la non-utilisation de l’Internet et des ordinateurs donne une coloration et une ambiance essentielle au film et contribue à la dramatisation de l’intrigue où un homme ordinaire est dépassé par les événements.
Le film change de genre dans la dernière partie, passant presque dans le genre film d’action, affaiblissant (un peu) la tension dramatique et psychologique du film. Celui-ci joue beaucoup sur l’intériorité du personnage principal. A ce sujet, François Cluzet précise : Il y avait des passages où le personnage est très intériorisé, quasi inhibé, il fallait remplir ces zones-là. Heureusement, Thomas Kruithof était intarissable sur le personnage. Même pendant le tournage, dès qu’on avait une question, il avait réponse à tout : il avait passé beaucoup de temps à polir son script. C’était bluffant pour un premier film.
De mon côté, j’ai pensé au personnage du Pigeon, le roman de Patrick Suskind : l’histoire d’un type qui travaille comme guichetier dans une banque, qui a une vie tout à fait rangée. Et puis un matin, en partant, il oublie de fermer la fenêtre. A son retour, il y a un pigeon dans sa chambre et ce pigeon va le mettre face à sa solitude. Il y a aussi une dimension tragique dans ce personnage.
C’est aussi la question de l’obéissance à une autorité que l’on ne remet pas en question qui est au coeur du film d’espionnage "à la John le Carré" et qui n’est pas sans rappeler l’expérience de Milgram. De même tout ce qui a trait à l’espionnage moderne, aux écoutes téléphoniques, à la surveillance par Internet, toutes choses révélées par Snowden ! L’utilisation de machine à écrire (et d’un texte dans copie carbone comme jadis) a d’ailleurs été évoquée ces dernières années par certains dirigeants et services de renseignements ("Quand j’ai commencé à écrire le scénario, mon envie d’un univers « low-tech » a rencontré l’idée d’un retour à l’analogique envisagé à cause du risque de piratage du numérique. Cette question s’est vraiment posée quand l’affaire Snowden a révélé l’ampleur de la surveillance de la NSA. On a même rapporté à l’époque que le FSB – les services secrets russes – avait décidé de s’équiper à nouveau de machines à écrire et de nombreux gouvernements espionnés par la NSA ont également pensé à revenir à des communications 100% papier et à des moyens primitifs pour mieux se protéger."). Cette machine à écrire ainsi que l’enregistreur à microcassettes sont importants dans le film (il y a même de nombreuses images en macrophotographie depuis l’intérieur de ceux-ci) ajoutant un aspect mécanique qui rejaillit sur les êtres humains et en particulier le héros du film brillamment interprété par Cluzet. Mais cette interprétation doit beaucoup à celle des autres rôles, Simon Abkarian, Alba Rohrwacher, Denis Podalydès et Sami Bouajila, en particulier. Enfin, les spectateurs français feront probablement des liens propres à leur pays et à certaines affaires d’espionnage et de trafic international !
Bande-annonce :