Synopsis : Federico, un jeune homme d’armes, veut réhabiliter la mémoire de son frère, un prêtre séduit par une nonne, sœur Benedetta. A cette fin, il se rend à la prison-couvent de Bobbio, où, accusée de sorcellerie, elle est enfermée. Benedetta l’ensorcelle à son tour. Elle est alors condamnée à la perpétuité et emmurée vivante.
Au même endroit, des siècles plus tard… Federico, un inspecteur ministériel, frappe à la porte du couvent, transformé depuis en prison, puis laissé à l’abandon. Il découvre que le bâtiment est habité par un mystérieux comte, qui ne sort que la nuit…
Acteurs : Roberto Herlitzka, Piergiorgio Bellocchio jr, Lidiya Liberman
En résumé : De l’inquisition à aujourd’hui. Un couvent prison. Des plans, de choeurs, des couleurs qui se répondent dans un film poétique, de toute beauté, qui demandent au spectateur de garder une âme de poète et de s’ouvrir à une histoire d’amour (ou pas), de sentiments, de passions, de religions, de règles, de clôture, de gens d’Eglise loin de l’Evangile, d’une mafia qui régente la société et les compromissions à l’ancienne...
Les réactions étaient mitigées au sortir de la projection presse du film de Marco Bellochio sorti depuis un peu plus d’un an en France alors que la Belgique ne connaîtra qu’une diffusion restreinte en fin d’année. Certains le trouvaient assez incompréhensible, peu cartésien, poétique au mieux ou... "intéressant". De mon côté, j’ai résumé mon impression sur un mode évocatif et comparatif : "c’est un peu comme si La voie lactée de Luis Buñuel avait rencontré Cloud Atlas de Lana et Lilly Wachowski. C’est que, comme le précise le synopsis - que je n’avais pas lu avant d’assister à la projection - ce film se déroule sur deux époques : en 1630 et aujourd’hui.
Et de fait, il y a de quoi être déconcerté. Passer d’un couvent à la clôture strictement réglementée où va se dérouler un procès, quasi inquisitorial, d’une religieuse, Benedetta, convaincue de sorcellerie, après avoir entraîné le suicide d’un prêtre. Clôture que va franchir son jumeau, qui lui n’est pas prêtre, pour obtenir l’aveu de cette femme : qu’elle est sorcière et a envouté son frère, ce qui lui permettrait d’être enterré dignement. Près de quatre cents ans plus tard, nous retrouvons le même couvent, la même porte, d’autres protagonistes... Ce sont cependant les mêmes acteurs que l’on retrouve ou encore la couleur rouge cardinalice est rappelée par la couleur rouge de la voiture de luxe d’un magnat russe de la finance. D’un côté du temps il y a une sorcière - du moins la suppose-t-on telle - de l’autre, il y a un conte, vampire - du moins le suppose-t-on tel -, qui ne sort que la nuit ! S’agissant dans la première partie du suicide d’un jumeau, on ne peut que songer à l’histoire personnelle du réalisateur âgé aujourd’hui de 75 ans. La mort de son jumeau en 1967, ce que le réalisateur reconnaît lui-même. Il avait déjà traité de ce thème dans Les yeux, la bouche, en 1982 : Ma motivation profonde était de vouloir revenir de façon indirecte et « transfigurée » sur une histoire tragique qui a marqué ma vie, en l’occurrence la mort de mon frère jumeau que j’avais déjà racontée dans Les yeux, la bouche, mais avec de fortes influences inconscientes qui avaient finalement nui au film.
On relève ainsi l’étrangeté qu’on retrouve dans Les Yeux, la bouche (1982) où Lou Castel est prié de revenir en Italie pour exécuter, comme on dit en peinture, un repentir du matricide et fratricide des Poings dans les poches. Il incarne Giovanni, l’acteur dudit film, qui vient présenter ses derniers hommages à son frère jumeau suicidé, séduisant au passage sa fiancée et venant consoler, sous les traits de son propre frère, leur mère éplorée à laquelle on a caché l’acte du suicide (la scène, sublime, réunit Lou Castel et Emmanuelle Riva) (source). Tandis que Marco Bellocchio précise : Ici, une histoire datant de 1630 m’a donné la liberté nécessaire pour revenir sur ce même thème sans qu’il ne soit « persécuté » par mon histoire personnelle, tout en demeurant dans un cadre qui m’est familier, Bobbio, et qui a permis une coexistence spatiale et temporelle des images.
La référence que je faisais spontanément, sans aucune information préalable sur le film, à Cloud Atlas, était due à ce chevauchement d’époque et aux acteurs qui se trouvaient dans chacune d’entre elles. Quant au contexte "religieux" (n’oublions pas que l’athée Bellocchio ne l’est pas - ceci écrit sans aucun jugement de valeur !) il a mené la référence à La voie lactée et ensuite à Luis Buñuel. Certes, il n’est pas question ici d’hérésie, en tout cas comme fondement du récit, mais d’une critique acerbe d’un fait religieux, de ses excès et abus. Et cette critique se fait ici de façon fascinante jusque dans ses excès. Il y a une beauté des images qui donne à voir ce côté pervers d’une religion et d’hommes (et de femmes) qui ont rigidifié des règles religieuses jusqu’à être aux antipodes de l’Evangile et du Christ.
Il faut entrer dans cette histoire de sorcière et de vampire, celle d’une femme condamnée au supplice de l’eau, et du feu, condamnée à pleurer et à être emmurée vivante, celle d’un vieux conte qui ne sort que la nuit et qui, dans le fauteuil d’un dentiste, parle d’une certaine conception de la société italienne, de la corruption et de la mafia. Il faut découvrir Pier Giorgio Bellocchio, le propre fils de Marco dans le rôle principal, celui du jumeau en 1630, et celui d’un homme du gouvernement (ou pas) à notre époque... comme si le réel de la vie, des joies et des souffrances du réalisateur vibraient dans les couloirs du temps ! Il faut abandonner la vision cartésienne pour entrer dans la poésie d’un récit qui interroge à tout le moins la société italienne et les abus d’une Eglise catholique toute puissante ... ou la mafia aujourd’hui ! Comme le dit le réalisateur : Il m’apparut enfin que cette histoire puisée dans un passé très lointain méritait un retour au présent dans l’Italie d’aujourd’hui, et plus précisément dans certains de ses petits villages tels que Bobbio, que la modernité, la globalisation, etc., ont désormais effacés, et qui ont perdu le confort et l’aspect protecteur de leur isolement, jusqu’alors garanti par le système solidaire des partis politiques et des syndicats.