Synopsis : Dublin, années 80. La pop, le rock, le métal, la new wave passent en boucle sur les lecteurs K7, vibrent dans les écouteurs des walkmans et le rendez-vous hebdomadaire devant « Top of the Pops » est incontournable. Conor, un lycéen dont les parents sont au bord du divorce, est obligé à contrecœur de rejoindre les bancs de l’école publique dont les règles d’éducation diffèrent de celles de l’école privée qu’il avait l’habitude de fréquenter. Il se retrouve au milieu d’élèves turbulents qui le malmènent et de professeurs exigeants qui lui font rapidement comprendre qu’en tant que petit nouveau, il va devoir filer doux. Afin de s’échapper de cet univers violent, il n’a qu’un objectif : impressionner la plus jolie fille du quartier, la mystérieuse Raphina. Il décide alors de monter un groupe et de se lancer dans la musique, univers dans lequel il ne connait rien ni personne, à part les vinyles de sa chambre d’adolescent. Afin de la conquérir, il lui propose de jouer dans son futur clip.
Acteurs : Ferdia Walsh-Peelo, Aidan Gillen, Maria Doyle Kennedy, Kelly Thornton, Jack Reynor.
De The Cure à Duran Duran, mais pas que !
John Carney propose aux spectateurs de se déplacer à Dublin, dans les années 80 et de rêver avec The Cure ou Duran Duran, mais aussi Genesis ou Hall & Oates parmi d’autres. Est-ce à dire que le film s’adresse à ce public-là, trente à quarante ans plus tard. Soit à ceux qui aujourd’hui ont dépassé la cinquantaine ? Certes non. Le film nous déplace sur un autre terrain, mais sur fond musical. L’histoire est très banale : quelques mois de la vie d’adolescents dans une école (catholique, ce point est important), les difficultés d’intégration et la façon de s’en sortir, la vie difficile à Dublin pour la classe moyenne ou populaire, et les enjeux pour quelques adultes. Le film touche et fait mouche. En plein coeur, littéralement. Le coeur de l’amour, des amours adolescentes, le coeur du spectateur aussi. On pourrait écrire Feel Good Movie. Le film n’est pas d’abord sentimental et certainement pas sentimentaliste même si l’on est parfois au bord des larmes et si l’on ressent des soubresauts d’émotion dans la poitrine. Le film berce une nostalgie et une langueur qui n’est pas monotone. Elles sont rythmées par la musique, le chant, les instruments et le tempérament survolté de quelques jeunes qui ont l’ambition de croire qu’ils pourront s’en sortir en formant un "band".
K7, VHS et fringues !
Nous sommes au début des années 80, c’est encore l’essor de la cassette (K7 !), de la VHS, des clips naissants en playback mais aussi les fringues improbables ! Les images et la bande-son arrivent à rendre compte de cela avec un enthousiasme et une énergie qui font passer des petits riens pour de grands moments. Et ces petits riens, ce sont des petites choses, trois fois rien pour jouer à la Raymond Devos, pas grand-chose que l’on retiendrait pour construire un avenir ! Mais ces "petits riens" ce sont aussi ces jeunes adolescents, parfois paumés, rejetés, brimés, insultés, jetés au sol qui tentent de relever la tête, de se mettre debout en essayant d’acquérir une reconnaissance au premier abord et, dans un second temps, d’intégrer éventuellement ceux qui les rejetèrent au premier abord.
Un casting fabuleux de néophytes
Pour cela, il y a une chose remarquable à mettre en avant : les (jeunes) interprètes. C’est un casting de tout premier plan qui est au service du film, de son intrigue, du scénario et de sa musique. Si le film n’est pas autobiographique au sens réel du terme, il est probable que le réalisateur se souvient et fait "passer" quelque chose de lui, de son histoire, de son passé, de ses difficultés et éventuels déboires dans ce film. Et les ados qui "reconstituent" cette époque qu’ils ne connaissaient pas excellent pour cela. Ils ont des talents pour le chant, pour la musique, certes, mais la majorité d’entre eux n’a jamais fait de cinéma et ils arrivent à être confondants de naturel. Parmi les acteurs adultes et connus, relevons deux noms, celui de Jack Reynor, dans le rôle de Brendan, le frère ainé de Conor et qui jouera un rôle essentiel dans la vie de celui-ci, un rôle loin d’être ’bateau’. Parmi plusieurs rôles intéressants de cet acteur, nous retenons en particulier le drame What Richard Did de Lenny Abrahamson (2012). Ensuite, un autre acteur, Aidan Gillen, interprète le rôle du père de Connor. Il est connu pour son interprétation de Petyr ’Littlefinger’ Baelish dans la série Game of Thrones. Il a aussi été remarqué du public anglais dès 1999 par son interprétation remarquable de Stuart Jones dans la série anglaise Queer as Folk (revisitée ensuite aux USA sous le même titre, mais avec d’autres interprètes).
Un film doux malgré l’amertume du pouvoir catholique...
Le film peut sembler banal : les amours de Connor, ado de 15 ans pour une fille plus âgée sur laquelle il "flashe", la vie dans un collège, les difficultés des parents qui se séparent. Cependant cette banalité charme, comme un bonbon doux et acidulé à la fois, avec de temps en temps une pointe d’amertume. Et sur ce point, nous relevons deux choses. La première, le très grand pouvoir de l’Eglise catholique irlandaise, ici, en l’occurrence dans le milieu de l’éducation. Une main de fer dans un gant de fer ! Une rigidité où il n’y a aucune place pour la différence. De nombreux films récents, mais aussi de nombreux faits que l’on ne peut plus qualifier de "faits divers" sortent des mémoires et du non-dit pour dénoncer cette intransigeance qui malmenait les corps et les consciences avec un manque total d’humanité et l’application des règle aux antipodes de celles du "maître de l’Evangile". Cette intransigeance d’un pouvoir catholique et le rôle très malsain de certains clercs n’est pas l’élément central du film mais le réalisateur a intégré cet élément dans la trame narrative de son film jusqu’à en prendre le contrepied de façon éminemment jubilatoire dans la scène finale de bal, une sorte de "bal masqué" qui voudrait exprimer un "bas les masques" (voire un "bas les pattes").
... et de l’injure !
La deuxième, c’est l’insulte, l’insulte essentiellement homophobe. Celle qui traite de tapette, de pédé, pédale... tout qui n’est pas du cercle d’appartenance. Non pas que le thème de l’homosexualité soit au coeur du film ou y soit même présent, mais que exprimer le mépris, le rejet, la condamnation et l’opprobre se disent dans ces termes-là.
Pour ce thème, nous ne pouvons que renvoyer aux travaux de Didier Eribon [1] sur l’insulte dans Une morale du minoritaire (Paris, Fayard, 2001, 339 pages). Nous en parlions déjà dans notre critique de Xenia et de Much Loved. Et cela n’est pas prêt de disparaître. Ainsi encore, le 14 octobre dernier (la semaine dernière, par rapport à l’écriture de cet article), le footballeur mexicain Ulises Briceño, en Liga de Ascenso, soit l’équivalent de la "deuxième division" du championnat mexicain, jouait contre Lobos de la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla (BUAP) s’est adressé à ses supporters à la fin du match (remporté par son équipe par 5 à 1) pour leur demander de ne plus crier ’puto’ au gardien de but de l’équipe adverse. Certes le mot a plusieurs sens, mais ici, c’est le même type d’insulte que les "pédé" et "tapette" qui sont assénés à quelques adolescents dans Sing Street. Le joueur a posté son intervention sur son compte Twitter [2].
Il va de soi que l’injure n’est pas le thème du film. Il nous semble important cependant d’être attention à cette question de l’insulte ordinaire en ces temps où l’homophobie se refait droit de cité, y compris au sein de l’Eglise catholique dont nous faisons partie. Ce sont ces schémas que nous mettions en avant pour conclure notre critique de Layla M.