Acteurs : Anna Brüggemann, Lucie Aron, Moritz Knapp, Birge Schade, Florian Stetter, Sven Taddicken, Lea van Acken
Synopsis : Maria, 14 ans, vit dans une famille catholique fondamentaliste. A la maison comme à l’école, son quotidien est régi par les préceptes religieux. Entièrement dévouée à Dieu, elle n’a qu’un rêve : devenir une sainte. Suivant l’exemple de Jésus, elle entame son propre chemin de croix dont rien ni personne ne peut la détourner.
Extraordinaire ! 14 plans séquence d’environ 6 minutes chacun (certain de 3, l’autre de 14 environ) dont 11 avec une caméra fixe. Les 3 plans où la caméra se déplace prennent une densité dans ce film où les acteurs, dont certains très jeunes, jouent juste.
Le film nous invite à une réflexion sur les dérives d’une religion lorsqu’elle surfe sur les vagues du fondamentalisme et de l’intégrisme. Toutefois au-delà des replis identitaires et du refus de l’altérité, le cinéphile découvrira un film qui est un petit bijou dans sa construction.
Lors de mon entrée dans l’UCC (Union des Critiques de Cinéma) j’ai défendu ce film. Voici le texte de ma "plaidoirie" !
J’ai pris connaissance de la sélection pour le grand prix de l’UCC. Je serai silencieux comme une momie au sujet de l’un ou l’autre film qui n’a pas été retenu (NB : petite allusion pas très fine à Mommy de Xavier Dolan) !
J’ai choisi de défendre Kreuzweg qui se structure sur base d’un chemin de croix. Le film se déroule sur une semaine environ et raconte l’itinéraire vers la Confirmation d’une jeune fille, Maria, issue d’une famille catholique traditionaliste. Maria aura un tel désir d’imiter le Christ qu’elle se sacrifiera afin de donner sa vie pour la guérison de son petit frère aphasique.
Autour de Maria : sa mère psychorigide au plan religieux ; son père absent et quasiment sans parole ; Bernadette, jeune fille au pair, tiers externe qui apporte de l’air quand les relations deviennent étouffantes ; le jeune Christian, probablement amoureux, comme on peut l’être à l’adolescence. Enfin et surtout, il y a le père Weber, beau et « séduisant ». La racine originelle de séduire est « séparer », « mettre à l’écart », « corrompre », « tromper »… Cela apparaît dans la première partie du film où le prêtre amènera – notamment par le biais d’un biscuit à ne pas consommer – la notion de sacrifice qui va s’instiller comme un venin dans le cœur et la tête de Maria.
La forme du film est essentielle. Le réalisateur s’est donné trois contraintes.
- Les quatorze stations traditionnelles du chemin de croix.
- Chacune est filmée en « plan séquence » et
- En caméra fixe pour la quasi totalité du film (qui dure 1h43).
Les déplacements de la caméra – moins de 2’30, dans trois stations – sont importants et amplifient la tension dramatique. Ainsi, dans la 12e station (Jésus meurt sur la croix), on tente de réanimer Maria à l’hôpital. Un infirmier pousse un groupe (le prêtre, la mère et le petit frère) hors du champ – pour donner de l’air et de l’espace autour de Maria… tandis que la caméra se déplace avec eux durant 8 secondes (à l’arrière plan l’horloge indique 15h, soit l’heure théologique de la mort de Jésus). Je n’ai pu m’empêcher de penser à Mommy où Steve ouvre le cadre avec ses mains pendant quelques secondes (là aussi on donne de l’air et de l’espace pour sortir du cadre fixe et rigide du format carré).
Je souhaitais défendre ce film (dont la forme rigide est difficile à « vendre » et peut rebuter le spectateur autant que le critique) parce que, prêtre catholique travaillant pour RCF, une radio chrétienne, je voulais aborder de front les dangers liés à la religion. En effet, le fait que trois films sur les cinq ont une consonance religieuse m’interpelle. A priori nous pouvons penser que ces histoires nous sont extérieures :
- Gett serait une affaire de juifs orthodoxes et machistes,
- Timbuktu, celle d’exaltés qui comprendraient mal le message d’Allah tandis que
- Kreuzweg ne concernerait que des fondamentalistes catholiques qui n’ont pas digéré le Concile Vatican II.
Dietrich Brüggemann nous oblige à sortir d’une telle interprétation.
C’est en puisant dans des racines identiques qu’une culture religieuse catholique s’est associée en France l’an dernier à d’autres pour fonder le lit des manifestants opposés au mariage pour tous. C’est la même culture qui court le risque, en se chargeant de l’éducation religieuse et spirituelle des plus jeunes et plus fragiles (les enfants), de verser dans une pédophilie à peine moins grave que celle dont on parle depuis quelques années, ce que j’appellerais la « pédophilie spirituelle ». Autrement dit, abuser d’un enfant sur lequel on a autorité et qui n’a pas les moyens de se défendre ou d’exercer son libre arbitre. Ces abus peuvent causer des séquelles jusque l’âge adulte. Ce sont les mêmes cultures religieuses qui risquent de remettre en cause certains droits de l’homme… et de la femme.
Le fait religieux, même cantonné à la sphère privée induit ce risque et Kreuzweg nous invite à voir ce danger au-delà de l’histoire personnelle et intime de Maria !
Je vous invite donc à voter pour ce film à la fois en raison de la force et de l’actualité de sa thématique et de sa grande originalité formelle.