Synopsis : Dans la zone évacuée autour de la centrale nucléaire de Fukushima, 5 ans après la catastrophe, le village de Tomioka est toujours vide de ses quinze mille habitants. Quelques rares individus vivent encore sur cette terre brûlante de radiations.
- Les Hangaï ont décidé de continuer à cultiver leur terre.
- Les Sato réinvestissent peu à peu leur maison avec le projet de s’y réinstaller prochainement, persuadés qu’un repeuplement est possible.
- Matsumura san, avec son vieux père, s’occupe des animaux abandonnés au lendemain de l’accident nucléaire. Il est le premier à avoir refusé l’ordre d’évacuer. A sa manière, en faisant de sa vie un symbole, il témoigne et milite pour un monde dénucléarisé.
Alors que les travaux de « décontamination », orchestrés par le gouvernement nippon, semblent bien dérisoires et vains face à l’étendue du séisme tant humain qu’écologique, l’existence apparemment déraisonnable, mais paisible de ces irréductibles nous rappelle qu’un bout de terre est, en dernier recours, notre lien le plus sûr au monde.
La terre abandonnée est un film doublement émouvant. Au plan humain d’abord, au plan humain ensuite. Humain ? Deux fois ? Oui. Le premier humain est très personnel, car le hasard a fait que le jour de la mort de Gilles Laurent, c’était le 22 mars, à Maelbeek, à quelques mètres de moi. Il était dans la deuxième voiture, j’étais dans la première de la rame de métro (et cette critique est donc en "je" !). La vie de Gille s’est donc éteinte. Le preneur de son qu’il était s’essayait à la réalisation. La terre abandonnée était son premier film, il en était à la phase de montage. C’est donc une émotion très personnelle, mais pas que, puisque cet attentat a eu des répercussions bien au-delà des destins individuels concernés. C’est en quelque sorte une "catastrophe" dont le bilan excède la somme de ses singularités.
Humain une deuxième fois parce que le documentaire relate un événement certes singulier, mais qui a eu une dimension universelle : un tsunami à Fukushima et ses conséquences. C’est que ce qu’il faut bien admettre être un cataclysme artificiel (et non pas le "naturel" du tsunami) dû à la démesure de l’homme et de son rapport à la nature va avoir des conséquences qui dépassent de loin une petite ville japonaise.
Il est quelques hommes et femmes qui ne veulent pas quitter leur terre, leur "chez eux" pour aller dans des casemates prévues et aménagées par les autorités. Cela commence par l’histoire d’un homme, Matsumura san, qui veut s’occuper des chats et chiens abandonnés sur place. C’est qu’animaux radioactifs, ils ne peuvent être emportés. Et si d’aventure un habitant avait laissé un chien en laisse c’est dans l’improbable espoir de revenir. Mais le temps du retour ne s’exprime pas en jours ni ceux des retrouvailles avec l’animal ni même ceux de sa durée de vie. Il est en effet bien possible qu’il faudra plus que la durée de vie d’un chien pour revenir habiter de façon sûre les lieux. Sûre ! On n’en sera jamais sûr, car les discours rassurants semblent bien loin de la réalité et si proches du politiquement correct. Ce sera aussi cette famille qui vient revoir sa maison et l’aménage. Ou encore ces volontaires bénévoles qui viennent assainir les sols en enlevant plantes, feuilles, terreau contaminés. Jour après jour, sac après sac. Et ceux-ci énormes s’entassent au bord de la route. En l’on songe à d’autres réserves vues à la télévision (et pas dans ce fil), ce sont les eaux contaminées qui sont stockées sans savoir ce que l’on pourra en faire et si la décontamination pourra avoir lieu.
Ce ne sont plus les montres et horloges qui ponctuent le temps, mais les compteurs Geiger, à la campagne ou dans les cimetières, qui expriment cette force invisible, ces souffles contaminés qui ont empoisonné l’air, le sol, l’eau, les plantes, les animaux pour des dizaines d’années. Et ceux qui sont restés et à qui la loi ne peut rien empêcher préfèrent être là, sur la terre abandonnée, pour ne pas l’abandonner tout à fait et totalement. Ils perdront des années de vie, mais celles-ci, empoisonnées de façon invisible, leur paraissent, paradoxalement, plus vivantes, et plus humaines que les lieux sans terre qu’on leur propose. Un film bouleversant d’humanité.