Synopsis : Dans les sous-sols d’un sex-club, les corps d’hommes s’entremêlent, se consomment et se consument. Théo y aperçoit Hugo, l’approche et l’embrasse bientôt. Soudain, la passion les emporte. Le désir les foudroie. Le sexe fait place à l’amour ou à son illusion, et leur étreinte est orgasmique. Ils quittent le club ensemble, vaguant, divaguant, dans les rues vides du Paris nocturne. Ils doivent alors faire face à la réalité qui les rattrape. Peuvent-ils se faire confiance ? Leurs attentes se rencontrent-elles ?
Acteurs : François Nambot, Geoffrey Couët, Mario Fanfani.
Cet article n’a rien de choquant, mais bon, il concerne un film non pornographique avec des relations sexuelles explicites ou non simulées. C’est donc quand même pour lecteurs avertis. Il est assez long pour dissuader de le lire par inadvertance !
Trop gay pour être distribué ?
Le film n’avait aucune chance d’être distribué en Belgique pour le grand public et encore moins d’être présenté dans le cadre de nos émissions en radio. Cependant, le dernier film d’Olivier Ducastel et de Jacques Martineau avait remporté le Prix du Public des Teddy Awards à Berlin en 2016. Éclectique dans nos goûts et les Festivals que nous fréquentons et suivons pour nos émissions, nous nous sommes rendu au mini-festival Pink screens Genre d’à côté qui présentait le 26 mai dernier le film au cinéma Nova en présence de Jacques Martineau. Nous y avons assisté et avons été convaincu par le fait qu’il serait impossible d’en parler sur notre radio et, en même temps, regrettable de ne pas en parler comme cinéphile tant le film posait des questions "cinématographiques". Le fait d’avoir assisté à la projection devant un public acquis, voire conquis d’avance, d’avoir participé au "questions-réponses" avec l’un des réalisateurs et d’avoir pu le rencontrer ensuite, nous incite à en traiter sur ce site moins comme une critique du film (inutile puisqu’il ne sortira pas en Belgique comme annoncé) que comme une libre réflexion sur quelques enjeux qu’il soulève, particulièrement en matière de représentation au cinéma de relations sexuelles explicites et homosexuelles !
... mais primé !
Depuis Berlin, de nombreux autres prix se sont ajoutés au Teddy ! Ainsi, en juin dernier, dans le cadre du 18ème Festival FilmOut le film s’est vu décerner le Prix du public du meilleur film international. Le même public a aussi élu Geoffrey Couët et François Nambot meilleurs acteurs. Ajoutons le Premio Maguey au Festival international du film de Guadalajara, le Prix du Public au Festival du film Gay et Lesbien de Nice, et le Prix Premiers Rendez-vous pour Geoffrey Couët et François Nambot au Festival du film de Cabourg.
Les points de friction
Le titre est tout d’abord un hommage à Céline et Julie vont en bateau [1], la comédie fantastique de Jacques Rivette, sortie au cinéma en 1974. Ce film dure près de 3h15 (ce qui est relativement court pour le réalisateur dont le film Out 1 : Noli me tangere, réalisé en 1971 dure 12h30 !). En revanche, Theo et Hugo... dure à peine nonante minutes et a la particularité de raconter son histoire en "temps réel", de 4h30 à 6h00 du matin. C’est la première caractéristique du film ; la deuxième est de consacrer près de vingt minutes à filmer des relations sexuelles non simulées ; la troisième : homosexuelles et la quatrième sans "doublure sexe" ! Ajoutons encore pour enfoncer le clou que le scénario inclut le fait qu’une des relations sexuelles n’était pas protégée et amène le film à traiter du sida et du traitement après un relation potentiellement à risques.
1h30 en temps réel
La gageure du film est de tenir tout cela dans la durée du récit qui nous est raconté. Bien plus, si le code Hays interdisait toute référence à la perversion sexuelle (et l’homosexualité était considérée comme telle à l’époque) et si, le respect du code se faisait plus souple, personnage gay ou lesbien il y avait, celui-ci ne pouvait être que négatif et une éventuelle relation devait traitée de façon négative. Ici, dans Théo et Hugo dans le même bateau, la relation est abordée de façon éminemment positive, festive, et la sexualité comme quelque chose d’intrinsèquement bon. C’est du lieu même d’un mode de vie que certains qualifieraient de "débauche" ou de sordide qu’un bien, ici l’amour peut naître. Et gageons qu’au risque de clichés, nombre de spectateurs dans la salle se sont reconnus ou ont reconnu des situations, que celles-ci soient réelles, du "vécu" ou de l’ordre du fantasme. Peu importe. A cause et grâce à cela, le public était conquis. Performance donc que de traiter de ces sujets en une heure trente. Il en a fallu du temps pour mettre cela en image, pour tourner dans Paris, jour après jour ou plutôt nuit après nuit, dans ce créneau-là, pour faire cet itinéraire, depuis le huis clos de la back room jusqu’au domicile de Théo... en passant par un hôpital pour un traitement du sida "post exposition" ! Une balade de nuit, dans la capitale française, sur le mode Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda. Mais aussi dans le métro, dans le "vrai" métro, comme dans Nocturama de Bertrand Bonello et aussi en vélo. Occasion de trois rencontres : une dame âgée dans le métro, un vieux monsieur ronchonneur à l’hôpital et, au petit matin, un Syrien vendeur de kebabs.
Le sexe non simulé...
Deuxième point : du sexe "réel", parfois frontal, non simulé... durant vingt minutes (y compris une scène de fantasme tournée en studio). Fallait-il ou pas ? Etait-ce vraiment nécessaire d’insister sur ce point ? Oui, trois fois oui, parce que c’est l’essence même du projet qui est en cours, ce déplacement du sexe, pur et dur !, vers l’amour, grâce à un déplacement dans Paris. Ces scènes étaient nécessaires (au-delà ou en deçà de toute considération sur les qualités et défauts des films cités) dans Love, Antechrist ou Nymphomaniac, de Lars Von Trier, La Vie de Jésus (pas Jésus de Nazareth, mais un personnage qui porte ce nom) de Bruno Dumont (1997), Turks Fruit (Turkish Délices) de Paul Verhoeven (1973), Nine Songs de Michael Winterbottom (2004) ou beaucoup plus tôt, en 1976, L’Empire des sens (Ai no corrida), d’Oshima...
...homosexuel...
Troisièmement, s’agissant de sexe homosexuel, il semble que le cap soit plus difficile à franchir. Il y avait déjà, de façon très explicite, Shortbus de John Cameron Mitchell (2006) [2], qui traitait du sexe dans diverses variantes de l’expression du désir, même si le réalisateur affiche clairement sa propre orientation homosexuelle. Il y a aussi le maintenant célèbre L’inconnu du lac, d’Alain Guiraudie, primé à Cannes. Nous avions déjà abordé cette question dans notre article consacré à Greek Pete, le documentaire réalisé en 2009 par Andrew Haigh.
Nous entendons certains pour qui on peut être "OK" avec la représentation d’une relation lesbienne dans La vie d’Adèle, chapitres 1 et 2... mais "pas OK" avec la représentation de deux mecs. Là, c’est probablement à creuser... mais reste une question bien plus importante, celle des acteurs et de leur implication. Cela amène, dans une grande majorité des cas à avoir des substituts, ce que l’on appelle pudiquement des "doublures sexes". C’est le cas dans les films Nymphomaniac... ou de Guiraudie (notamment dans Rester vertical où à dire vrai nous n’avions pas remarqué cette permutation). Il est cependant des cas où il n’y a pas de doublure comme dans Love où nous avions déjà traité de ce thème : "Cette question est évoquée dans les bonus du DVD consacré à Glory Hole, court métrage de Guillaume Foirest (2006), tourné dans un club libertin du sud de la France. Il s’agissait de son travail de fin d’études de réalisateur. Aïssa Bussetta, son acteur principal (qui a tourné d’autres films depuis !) exprime dans une interview que les acteurs considèrent leur personne comme un appartement dans lequel certaines pièces sont interdites. Sa métaphore vise ici le fait de filmer le (son) sexe. Il précise alors qu’il souhaite, comme acteur, répondre à ce challenge de ’faire visiter toute la maison’. S’agissant du caractère intime de la chose, il posera la question de savoir ce qui l’est le plus : montrer le sexe d’un acteur ou ses larmes."
et sans doublures !
Ici, dans le cas de Théo et Hugo, on est passé à un palier supplémentaire, à savoir jouer dans des scènes homosexuelles non doublées. Olivier Martineau reconnait que ce ne fut pas simple. C’est que durant le casting beaucoup étaient sûrs d’eux ; mais lorsque l’on commence avec un premier détail : vous accepterez d’embrasser un garçon sur la bouche ? Pas de problème ! Avec la langue... là, les rangs se vident progressivement. Imaginons alors quand il faut aller plus loin, beaucoup plus loin ! John Cameron Mitchell avait pu obtenir cela dans Shortbus au prix de nombreux ateliers préparatoires, pendant plusieurs mois. Et certaines acteurs ou une actrice en particulier en ont quasiment subi des conséquences. Double frontière à franchir, celle du sexe réel d’abord, celle de l’homosexualité, ensuite ! Certes, on parle bien de "films non pornographiques contenant des scènes de sexe non simulées" parce que le tabou est là : il y a les vrais acteurs... et les autres, ceux qui font du porno. C’est ici que beaucoup ne souhaitent pas que cette frontière devienne poreuse.
Les réalisateurs ont eu la chance de découvrir deux jeunes acteurs qui viennent du théâtre et ne se connaissaient pas, mais qui ont accepté de jouer le jeu, si l’on peut s’exprimer ainsi. Cela va-t-il pénaliser leur carrière ? Nous espérons pour eux que non. A l’heure actuelle, chacun d’eux a joué dans un film depuis, mais dans un petit rôle, non crédité pour l’un d’eux ! C’est dire que l’on doit saluer leur courage et engagement au service de ce film et que l’on comprend d’autant mieux que d’autres ne s’y sont pas risqués, tels Pierre Deladonchamps et Christophe Paou dans L’inconnu du lac.
Le sida et le traitement post-exposition
Nous avons traité ci-devant des enjeux que pose la représentation du sexe non simulé à l’écran et de la difficulté supplémentaire et majeure que représente celle du sexe homosexuel. Toutefois, il nous faut mettre en avant un élément fondamental du film qui touche juste sa "cible" et son centre. On peut rêver que la cible soit universelle, mais déjà, là, en ce lieu-là, il méritait d’être réalisé et vu ! C’est que c’est une histoire dont la séquence n’est pas classique et cependant assez fréquente dans le monde homosexuel (que nous ne voulons ni caricaturer ni enfermer dans un moule !) : le sexe sans être amoureux et l’apparition (parfois) de l’amour après le sexe. C’est aussi l’itinéraire qu’accomplissent les deux jeunes gens, l’ainé et le cadet. Le possible lien qui peut se constituer. La confiance ou pas de l’un envers l’autre et vice-versa. Et plus donc si affinité ! Passer en même temps, d’un même mouvement d’un "j’aime ta bite" à "je t’aime". Passer du sexe à un possible engagement. Qui osera ou pas ? Qu’est-ce que s’attacher et combien de temps cela durera-t-il ? Mais avant cela, et après les vingt minutes de "baise" torride du début, il a vingt autres minutes dans un hôpital, après que Hugo ait annoncé sa séropositivité à Théo qui vient de lui dire que dans la confusion des corps il n’avait pas utilisé de préservatif pour le pénétrer. Ces vingt autres minutes sont intenses et dramatiques. Après la multiplicité des corps dans la back room, ils sont deux plus une dans la froideur d’un hôpital et que dans ce silence résonnent des paroles de peur, d’inquiétude, de précautions, de prévention et de rappel sordide de ce que le sida, même s’il se traite moins difficilement à défaut de guérir, est quand même une foutue saloperie !
S’aimer demain ?
C’est après ce temps d’arrêt, de stase, inquiets de demain que Théo et Hugo vont se mettre en route, découvrir qu’un amour est possible. Autre source d’inquiétude. Quels seront les résultats des analyses sanguines, quel sera leur amour qui vient de se déclarer. Nous ne le saurons pas. Eux, oui, demain, plus tard, jamais ?
Il est 5h59.
Paris s’éveille.
FIN !
Interviews :
- Interview des acteurs partie 1
- Interview des acteurs partie 2
- Interview des acteurs partie 3