Synopsis : Angleterre, fin du XVIIIe siècle : Lady Susan Vernon est une jeune veuve dont la beauté et le pouvoir de séduction font frémir la haute société. Sa réputation et sa situation financière se dégradant, elle se met en quête de riches époux, pour elle et sa fille adolescente. Épaulée dans ses intrigues par sa meilleure amie Alicia, une Américaine en exil, Lady Susan Vernon devra déployer des trésors d’ingéniosité et de duplicité pour parvenir à ses fins, en ménageant deux prétendants : le charmant Reginald et Sir James Martin, un aristocrate fortuné, mais prodigieusement stupide…
Acteurs : Kate Beckinsale, Chloë Sevigny, Stephen Fry, Xavier Samuel, Emma Greenwell.
Quand Whit Stillman, relativement peu connu du grand public chez nous, s’attaque à la grande Anglaise Jane Austen, on pouvait craindre le pire, venant d’un américain. Saurait-il rendre à l’écran ce que les Anglais réussissent souvent en la matière ? C’est d’autant plus vrai que Love & Friendship est un roman de jeunesse (Jane avait quinze ans) et qu’il est écrit sous forme de lettres. Et cependant, malgré ce titre [qui est aussi celui d’un livre de Whit Stillman : Love & Friendship : An Adaptation of Jane Austen’s Unfinished Novella Concerning the Beautiful Lady Susan Vernon, Her Loves and Friendships, and the Strange Antagonism of the DeCourcy Family (voir l’illustration ci-contre)] ce n’est pas ce roman qui fait l’objet du film, mais une oeuvre inachevée (le court "roman" se termine de façon abrupte, dans un style très différent de celui des échanges épistolaires) de Jane Austen (1775-1817) qui est ici adaptée. Elle est composée de quarante et une lettres (principalement de Lady Susan) et a été publiée à titre posthume, en 1871, sous le titre Lady Susan. L’ouvrage a été écrit à la fin de l’adolescence de Jane Austen, âgée alors de 18 ou 19 ans.
Si le réalisateur ne reprend pas cette forme épistolaire - abandonné plus tard par la romancière qui y voyait des limites-, le film nous fait découvrir un ensemble de scènes avec un grand nombre d’ellipses (correspondant probablement à celles du récit adapté - que nous n’avons pas lu !) dont le sens s’explique parfois ultérieurement. Stillman respecte et adapte le roman, à la fois fidèle au texte, mais en même temps y apportant l’un ou l’autre personnage ou touche propre à donner une certaine dynamique. Dès le début, les personnages nous sont présentés à l’écran avec une légende explicative qui nous fait comprendre les liens des uns et des autres et aussi une part de leurs personnalités. Et dans ce domaine, Austen, bien que jeune, nous gâte, avec une (auto)critique sévère de la société anglaise, particulièrement son aristocratie, ses liens avec l’argent. L’amour est-il possible dans tout cela ?
Surtout s’il s’agit de Lady Susan (excellente Kate Beckinsale) qui voudrait voir sa fille Frederica épouser Sir James Martin. Ce noble est vraiment presque parfait : il est très riche en biens et en rentes. Il n’a qu’un seul défaut, il est stupide et même un peu bête (Tom Bennett est ici excellent dans un rôle à contre-emploi). Mais pour Lady Susan, pas stupide pour un sou (!), terriblement calculatrice, ayant une haute estime d’elle-même et faisant de ses défauts des qualités, cette stupidité n’est pas un problème. Susan est très belle, l’esprit vif, caustique, désarmant. Elle est totalement égocentrique, terriblement intrigante et ses projets doivent la servir, car elle ne peut supporter d’être désargentée. C’est qu’elle est veuve, a une fille de seize ans, et veut trouver très vite un mari très riche ! Nous avons eu plusieurs fois à l’esprit les mots célèbres de La vie est un long fleuve tranquille : "Ah, la salope... la salope !" lorsque nous découvrions les échanges de Lady Susan avec Mrs Alicia Johnson (qui a épousé un Américain), échanges visant à manipuler, tromper, mentir et tisser des toiles d’araignées pour prendre les uns et les autres dans les pièges tendus. Ici aussi, Chloë Sevigny, excelle dans l’interprétation de cette amie retorse, le mal en mode séduction, dans cette joyeuse entente pour que les amours des uns et des autres échouent et passent en mode préjudice au bénéfice du seul orgueil des deux perverses ! Est-ce que l’amour va gagner ? ou la vanité ? Qui perdra et qui gagnera, finalement ? Tout cela est à découvrir à l’écran. Si les images n’ont pas le côté flamboyant de certains films anglais, en revanche, les dialogues - du pure Jane Austen - et répliques font mouche et font surtout rire très souvent. Ajoutons enfin dans un des premiers rôles, celui de Reginald DeCourcy, Xavier Samuel que nous avions découvert, notamment, dans Perfect Mothers d’Anne Fontaine (il donnait corps à Ian). Les seconds rôles servent bien le récit de Jane Austen habilement scénarisé par Whit Stillman qui rend ainsi hommage à la romancière grâce à cette critique et chronique de moeurs, satire sociale ironique, drôle, jubilatoire. Ne serait-ce pas, dans la foulée, l’occasion de se mettre à la lecture de cette nouvelle ?