Synopsis : En 1957, le juge Fritz Bauer apprend qu’Adolf Eichmann se cache à Buenos Aires et rêve de l’extrader. Les tribunaux allemands préfèrent tourner la page plutôt que de le soutenir. Fritz Bauer décide alors de faire appel au Mossad, les services secrets israéliens.
Acteurs : Burghart Klaußner, Ronald Zehrfeld, Sebastian Blomberg, Christopher Buchholz, Lilith Stangenberg, Jörg Schüttauf.
Retours sur le passé !
Il semble bien que l’Allemagne et son passé nazi soient depuis un an au centre des attentions de réalisateurs. Après Il est de retour (Er ist wieder da) de David Wnendt (le 13 janvier 2016) et Elser, un héros ordinaire (Elser) de Oliver Hirschbiegel (sortie le 20 janvier 2016), c’est moins d’un an après la sortie du film de Giulio Ricciarelli, Le Labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens), que Fritz Bauer, un héros allemand sort sur nos écrans en abordant une thématique analogue.
Ricciarelli abordait le rôle de Fritz Bauer en arrière-plan de son film qui était une fiction basée sur des faits réels. le procureur Johann Radmann (Alexander Fehling) était une construction cinématographique à partir de l’histoire réelle de trois procureurs de l’époque. Ici,il s’agit de l’adaptation de l’histoire vraie du combat de Fritz Bauer (1903) et non d’une fiction, même si, ici également, le Staatsanwalt Karl Angermann (Ronald Zehrfeld) n’est pas historique, mais est aussi créé, pour les besoins du scénario, à partir de plusieurs procureurs qui ont aidé Fritz Bauer. Ce n’est qu’à partir de la fin des années septante que les Allemands découvrent le rôle de ce dernier dans la capture d’Adolf Eichmann et les procès qui suivirent.
Un film juste et rigoureux
Le film commence d’ailleurs avant le générique, par des images d’archive en noir et blanc et au format 4/3 d’un discours du procureur qui provient "d’une émission de télévision faite pendant la période du procès Eichmann. C’était un début parfait pour le film, parce que Fritz Bauer y explique très simplement ce qui le motive. Il pense que l’avenir de son pays natal dépend fondamentalement de la manière dont les jeunes générations vont gérer leur passé. Il est prêt à donner tout ce qu’il possède pour cela. Il a même risqué sa vie pour cette idée. (Lars Kraume)".
Le réalisateur aborde avec une rigueur allemande, au sens le plus noble et positif, le travail du procureur, juif, athée et homosexuel. C’est Burghart Klaußner (Le pasteur dans Le ruban blanc) qui interprète le rôle avec beaucoup de justesse et de profondeur. Nous le découvrons très vite inanimé dans sa baignoire [1]. Le réalisateur nous fait découvrir un milieu anxiogène et la banalité d’un quotidien où des postes importants sont détenus par d’anciens nazis dont certains considèrent encore leur cause et combat comme justes !
Pour sauver son pays, il faut savoir le trahir...
C’est l’option de Fritz Bauer qui ira jusqu’à contacter secrètement le Mossad pour l’aider dans sa recherche. Il rêve de faire juger Eichmann en Allemagne. Ce ne sera hélas pas possible, car le danger est trop grand de nuire au nouveau gouvernement Adenauer et à ses liens commerciaux avec Israël, sans compter la présence d’anciens nazis dans l’entourage du chancelier. Le film reconstitue parfaitement les lieux, l’ambiance, les costumes et coutumes de l’époque. Ajoutons aussi l’intégration de la participation de Bauer à l’émission de télévision : « Heute abend KellerKlub » où il a pu exprimer ce qui le guidait. Tout cela est filmé avec rigueur et compétence, sans emphase, tout en finesse ! Les attitudes, les gestes, les regards et les non-dits... en disent beaucoup sur cette période où le passé domine le présent, lui est également sous-jacent et que tous voudraient soit taire soit oublier (voire les deux !).
Le « paragraphe 175 »
Mais outre cette quête digne des meilleurs films d’espionnages, il est un autre thème abordé, celui du "paragraphe 175" ! Cet axe est second, mais pas secondaire dans le film. Il est lié à l’homosexualité de Fritz Bauer qui avait été arrêté au Danemark pour la fréquentation de prostitués hommes [2]. Cet élément n’est pas anecdotique, car il constituait un moyen de pression sur le procureur. En effet "à cette époque le « paragraphe 175 » du Code civil était toujours en vigueur. Ce paragraphe rendait illégales les « activités lubriques » entre hommes et donnait aux détracteurs de Fritz Bauer un prétexte pour provoquer sa chute. Et ensuite, pour montrer la tyrannie qui régnait pendant l’ère Adenauer : ce « paragraphe homo », qui avait été renforcé quand les nazis étaient au pouvoir, n’a été aboli en Allemagne qu’en 1994 ! C’est un exemple criant de toutes ces années durant lesquelles les idées les plus injustes de l’ère nazie sont restées en place en R.F.A. (Lars Kraume)".
Un héros gay pas ordinaire...
Cet élément juridique relatif à la condamnation de l’homosexualité est important pour le réalisateur. En effet, si la majorité des personnages du film ont réellement existé, il "crée" le personnage de Karl Angermann (Interprété par Ronald Zehrfeld qui a joué, notamment dans Barbara, en 2012). Celui-ci incarne ainsi l’idéalisme de jeunes procureurs qui soutiennent par conviction et idéalisme le combat de Fritz Bauer. Dans le même élan (dramatique) il peut aussi et ainsi amener de manière crédible le sujet de l’homosexualité, constitutive de la personnalité du procureur. Il ne s’agit donc pas de quelque chose d’anecdotique qui relèverait de la vie privée et à laquelle le § 175 ne lui donne pas droit ! C’est tout à l’honneur du réalisateur. L’on s’étonne en effet - enfin on peut l’espérer - que certains pays condamnent encore l’homosexualité et ou les relations homosexuelles... alors que l’on ne s’étonne pas qu’il y a un peu plus de vingt ans, elle était encore illicite eu Allemagne, au nom de lois issues du nazisme. Ce personnage "fictif" apporte une densité au scénario et, nous aide à mieux découvrir le procureur Bauer, profondément humain, tenu à faire respecter la loi pour aller jusqu’au bout de ses combats, ceux-ci dussent-ils nuire aux plus proches de ses amis. Fritz Bauer, un héros, un héros allemand pas ordinaire [3] ! La note de 8/10 est ici assumée et reflète également celle d’IMDB ou 62% des votants ont attribué une note de 7 ou 8 !